Interview : Dr Aissa Regalla De Barros : l’ambassadrice des aires protégées en Afrique de l’Ouest

Dr Aïssa Regalla De Barros, scientifique de renommée internationale et ambassadrice des aires protégées, a dédié sa carrière à la protection de l'environnement de son Pays, la Guinée-Bissau et de l'Afrique de l’Ouest. Sa passion pour la biodiversité et le développement durable l'a menée à remporter le concours public pour devenir Directrice Générale de l'Institut de la Biodiversité et des Aires Protégées (IBAP) de la Guinée-Bissau. Ce titre lui confère une position clé pour influencer la gestion des ressources naturelles. Première femme à occuper ce poste en Guinée-Bissau, elle nous livre sa vision pour l'avenir de l'IBAP, les réformes en cours au sein de l'institution et les défis que la Guinée-Bissau doit relever pour une gestion efficace des aires protégées.

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Parlez-nous de votre parcours professionnel en mettant l’accent sur vos réelles motivations à poursuivre une carrière dans le domaine de la  conservation de biodiversité.

Je suis biologiste de formation, spécialisée en biologie des populations et des écosystèmes. Après mes études universitaires, je suis retournée dans mon pays en 2006 et j’ai suivi un parcours académique en intégrant des institutions publiques nationales : Institut National d’Études et de Recherches – INEP et ; Cellule d’Évaluation d’Impact Environnemental – CAIA/ AAAC. Ces institutions m’ont permis de me familiariser avec les enjeux stratégiques de la gestion organisationnelle et opérationnelle.

En 2010, j’ai rejoint l’IBAP – Instituto da Biodiversidade das Áreas Protegidas, où j’ai coordonné l’un des départements stratégiques de l’institution – Suivi et conservation de la biodiversité. Mes responsabilités m’ont amené à développer une forte composante scientifique dans toutes les aires protégées du pays (et en dialogue avec la sous-région). Cela m’a permis d’avoir une connaissance transversale et de m’approprier les interventions au niveau du Système National des Aires Protégées (SNAP).

En mai 2023, j’ai participé au concours public pour le poste de directeur général de l’Institut de la Biodiversité et des Aires Protégées – Dr Alfredo Simão da Silva – IBAP, que j’ai remporté. Ma candidature a été motivée par mon fort engagement en faveur de la protection de la nature et de la vision du développement durable dans mon pays et en Afrique de l’Ouest, mais surtout par mon engagement à continuer à placer les défis environnementaux de la Guinée-Bissau au premier plan de la gouvernance mondiale des espaces et des ressources naturelles.

J’aime mon travail et je crois en ce que je fais parce qu’il apporte des connaissances et permet des changements dans la vie des gens et la durabilité de la planète, en partageant des façons de vivre en équilibre avec l’environnement.

Nommée directrice de l’IBAP depuis 2023, vous devenez aini la première femme directrice des aires protégées dans la région, quels sont les défis auxquels vous faites face dans l’exercice de vos fonctions? 

J’ai près de 20 ans d’expérience professionnelle dans le domaine de la conservation de la biodiversité, à travers la recherche scientifique fondamentale et appliquée, la gestion de projets et de programmes dans toutes les aires protégées de Guinée-Bissau. J’ai travaillé dans différentes institutions et je me suis heurtée à des barrières liées au genre et à la condition de jeune, ce qui a été un défi.

Diriger le département de suivi et de conservation de la biodiversité à l’IBAP a été l’un des plus grands défis. Mes collègues étant presque tous des hommes, j’ai dû travailler dur et relever divers défis personnels, familiaux, professionnels, socioculturels, économiques et politiques.

Dr Aissa Regalla De Barros

J’ai dû faire beaucoup de sacrifices et je pense qu’aujourd’hui ils ont eu des résultats bénéfiques non seulement pour moi, mais surtout pour l’institution. Grâce à ce processus, mes collègues voient en moi une personne reconnue pour son mérite, capable de déconstruire les préjugés sur les capacités des femmes dans ce domaine considéré comme majoritairement masculin, basé sur un travail sérieux et dont les résultats profitent à la conservation de l’environnement et à la Guinée-Bissau.

On naît femme, mais le plus important est de pouvoir poursuivre ses rêves. Je crois que mon parcours et ma trajectoire en tant que professionnelle et technicienne, avec une formation dans le domaine de la conservation de la biodiversité en Guinée-Bissau, ont contribué à ouvrir de nouvelles voies et des portes à d’autres femmes pour qu’elles puissent entrer dans ce domaine, en servant de source d’inspiration.

Quelle est la dynamique de performance et de durabilité que vous avez impulsée au sein de l’IBAP ? Porte-t-elle  déjà des fruits ? 

Le rôle de l’IBAP est clair, avec une mission, une vision, des actions bien structurées et une stratégie nationale pour les aires protégées et la conservation de la biodiversité qui guide ses actions avec succès. Je crois que la force de l’IBAP réside dans sa capacité à créer et à intervenir sur la base de partenariats stratégiques au niveau national et international pour offrir une plus grande capacité et cohérence dans la promotion de la durabilité en ce qui concerne la protection des espaces, des ressources et des services associés à la nature, qui sont vitaux pour notre maintien en tant que société.  

Aujourd’hui, l’IBAP est devenue une institution respectée au niveau national et international pour sa transparence et sa rigueur, la qualité de ses interventions et de celles de ses partenaires, et ses succès dans la gestion des aires protégées et de la biodiversité.

Bien que l’IBAP ait déployé de grands efforts dans la gestion de 26,3 % du territoire national, la superfine du Système National d’Aires Protégées (SNAP), cette institution dépend jusqu’à présent de financement externes, assuré par des projets, ce qui leur confère un caractère temporaire et limité. La durabilité financière est l’un des plus grands risques et défis de l’IBAP et de la SNAP.

Mon équipe travaille actuellement au renforcement de la durabilité financière pour consolider les efforts de conservation de la nature et de préservation de la biodiversité, et pour réduire la pauvreté des communautés vivant dans les aires protégées de Guinée-Bissau.

Et aussi dans la production des informations scientifiques sur les tendances et les menaces pesant sur la biodiversité rare et menacée, dans le but de protéger les principales valeurs de la biodiversité de la Guinée-Bissau, en appui aux décideurs et pour influencer les politiques publiques.

Comment les communautés locales sont-elles impliquées dans la gestion des aires protégées en Guinée Bissau ?

Bien que le pays soit de petite taille, la biodiversité de la Guinée-Bissau est d’une importance mondiale.  La population est fortement dépendante des ressources naturelles et le développement économique est basé sur le potentiel de ces ressources naturelles, qui sont de plus en plus menacées.

Conscient de ces enjeux et grâce aux efforts déployés par le pays, un Système National d’Aires Protégées – SNAP – a été créé, couvrant 26,3 % du territoire national et une diversité d’écosystèmes essentiels. Il est actuellement composé de 11 unités de conservation, dont 3 aires marines protégées, 3 parcs côtiers et 2 parcs continentaux et 3 corridors écologiques.

La philosophie de création et de gestion des aires protégées adoptée par la Guinée-Bissau repose sur les principes des « parcs avec populations et pour les populations », afin de permettre la conservation des ressources naturelles et une gestion soutenue et participative, dans le but de bénéficier en priorité aux communautés les plus proches de ces espaces, afin de concilier la conservation de la biodiversité avec les objectifs de développement humain durable. Grâce à cette philosophie, les ressources naturelles sont valorisées, contribuant à la sécurité alimentaire, à l’économie et au bien-être des communautés concernées.

Toutes les aires protégées fonctionnent de manière inclusive et participative. Les communautés locales sont au centre des préoccupations de l’IBAP, ce qui explique que toutes les actions développées par l’IBAP sont faites en accord avec les communautés locales et les stratégies développées visent à créer de la résilience pour ces communautés en premier lieu, mais aussi au niveau national et sous-régional.

Dans un contexte d’égalité genre, quels conseils donneriez-vous aux femmes aspirant à des postes de direction pour surmonter les obstacles ?

Il existe de grandes disparités en termes d’accès aux droits, en termes d’accès à l’éducation et aux opportunités économiques, notamment en ce qui concerne les rôles assignés aux filles et aux femmes et les préjugés sur leurs capacités et leurs compétences pour des activités qui exigent un niveau élevé d’effort physique et intellectuel. Cela a de fortes implications en termes d’opportunités offertes aux femmes, mais surtout en termes de confiance.

À ce jour, une femme doit travailler plus dur pour être reconnue au même niveau qu’un homme. Il faut changer ce paradigme, cela passe par la formation, le développement des compétences et un travail sérieux, mais aussi par la création d’un cadre harmonieux de politiques publiques permettant une plus grande équité dans les relations de travail et de pouvoir.

Dr Aissa Regalla De Barros

Malgré cela, les institutions publiques n’offrent que peu d’opportunités professionnelles pour intégrer tous ces jeunes, et avec leurs responsabilités culturelles, les femmes finissent par abandonner.

J’ai observé, tant chez les jeunes femmes bissau-guinéennes que chez les chercheurs étrangers avec lesquels j’ai travaillé au fil des ans, que pendant la phase de formation académique, il y a une forte présence féminine, mais que lorsqu’elles deviennent mères, leur présence et leur action sur le terrain diminue considérablement.

C’est l’un des éléments critiques. Le manque de soutien familial, de soutien institutionnel et même de soutien au sein de l’équipe de travail est l’un des éléments qui entravent la possibilité de surmonter cette barrière sociale et de promouvoir une plus grande présence des femmes dans le domaine de la conservation.

Aujourd’hui, dans le cadre des enseignements, je plaide pour que les femmes qui ont réussi à atteindre le sommet de leur carrière professionnelle et qui sont impliquées dans la prise de décision dans différents domaines stratégiques, doivent partager leur expérience afin de motiver et de contribuer à une plus grande confiance chez les filles et pour que les générations futures puissent avoir une base de référence.