Interview : Le CENAGREF, moteur de la protection de la biodiversité au Bénin 

Le Centre National de Gestion des Réserves de Faune (CENAGREF) joue un rôle essentiel dans la conservation de la biodiversité au Bénin. Sous la direction du Colonel Abdel-Aziz BABA-MOUSSA, cette institution mène des actions concrètes pour protéger les écosystèmes fragiles du pays.

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Directeur général CENAGREF

Dans cet entretien, le Colonel BABA-MOUSSA nous ouvre les portes du CENAGREF. Il partage également sa vision pour l’avenir de la gestion des Aires Marines Protégées au Bénin, en soulignant les défis et les opportunités pour renforcer la résilience des écosystèmes côtiers et marins face aux pressions croissantes.

Veuillez-vous présenter plus en détail à nos lecteurs ! 

Depuis 2021, j’ai l’honneur de diriger le CENAGREF en tant que Conservateur principal des Eaux, Forêts et Chasse. Fort d’une solide expérience en gestion de projets et en ingénierie agronomique, j’ai piloté de nombreuses initiatives en faveur de la préservation de la biodiversité béninoise.

Avant de prendre les rênes du CENAGREF, j’ai occupé plusieurs fonctions stratégiques, notamment celle de Chef d’Inspection Forestière de l’Ouémé et du Plateau, ainsi que de Chef du service de la planification et du suivi-évaluation à la Direction Générale des Eaux, Forêts et Chasse.

Mon parcours inclut également des expériences en tant que Chef de Cantonnement forestier de Dassa et Chef du service réglementation, contrôle et contentieux, où j’ai acquis une expertise dans la gestion des ressources naturelles et la lutte contre les infractions environnementales

Parlez-nous brièvement  du CENAGREF et de ses missions principales 

 

Placé sous la tutelle du Ministère du Cadre de Vie et des Transports en charge du Développement Durable (MCVT), le CENAGREF est l’organisme national responsable de la gestion des réserves de faune au Bénin.

Mission CENAGREF

Le CENAGREF a pour mission principale d’assurer la conservation et la gestion rationnelle des espaces bénéficiant des mesures spéciales de protection et de gestion de la faune.

Ces espaces comprennent : les réserves naturelles intégrales, les parcs nationaux, les réserves de faune, les réserves spéciales ou sanctuaires de faune, les zones cynégétiques et leurs zones tampons y compris les aires marines protégées.

Quel rôle la direction du CENAGREF a-t-elle joué dans le processus de création des deux AMPs du Bénin, et comment accompagne-t-elle leur fonctionnement quotidien ?

La Direction générale du CENAGREF a joué un rôle clé dans la création des AMPs au Bénin.  En collaboration avec toutes les parties prenantes, y compris la Convention d’Abidjan, elle a contribué à la cartographie des zones et à l’élaboration des textes juridiques établissant ces AMPs.  

Dans leur fonctionnement quotidien, le CENAGREF accompagne ces aires protégées en coordonnant les actions des projets, ONGs et structures locales impliquées. Ils fournissent également un appui technique pour  des réalisations physiques, des formations et renforcements des capacités des équipes locales dans la surveillance et le suivi écologique. 

 

Quelles sont, selon vous, les avancées les plus significatives réalisées par le CENAGREF ces dernières années en matière de gouvernance et de gestion des AMPs ? 

Comme, vous le savez bien, le Bénin dispose à nos jours de deux AMPs à savoir l’AMP de Donaten et celle de la Bouche du Roy. En terme d’avancées les plus significatives, on peut capitaliser plusieurs réalisations importantes. Pour l’AMP de la Bouche du Roy, le Plan d’Aménagement et de Gestion (PAG)  a été élaboré et mis en œuvre,  et un cadre juridique pour la gestion des AMPs a été adopté grâce à une convention locale de gestion.

En ce qui concerne l’AMP de Donaten, une étude diagnostique complète a été réalisée, et le processus d’élaboration et l’adoption de son PAG est en cours. De plus, les travaux de matérialisation des limites  de cette AMP sont actuellement en cours.

Un exemple concret d’avancée est le projet de réhabilitation des zones de mangroves, qui a permis d’améliorer les habitats pour plusieurs espèces marines tout en générant des revenus pour les communautés locales grâce à des activités comme la pisciculture durable et l’écotourisme.

Par ailleurs, l’aménagement des écloseries et les lâchers successifs de bébés tortues illustrent les efforts déployés pour préserver la faune marine. Enfin, l’organisation de patrouilles quotidiennes, menées  par les communautés locales, contribue activement à la surveillance et à la protection des ressources naturelles. 

Quelles sont les menaces majeures enregistrées au sein des AMPs du Bénin et quelles sont les dispositions prises pour réduire ces menaces ?

Les principales menaces enregistrées au seins des AMPs du Bénin incluent la pollution  causée par les activités humaines, notamment les activités portuaires et les anciennes installations pétrolières situées  à Sèmè-Podji.  S’ajoutent à cela la pêche incontrôlée, le déversement incontrôlé des égouts et boues de vidange, ainsi que les effets des changements climatiques qui perturbent les écosystèmes marins.

Pour faire face à ces défis, le CENAGREF a mis en place  un cadre de concertation avec les acteurs portuaires afin d’encourager la mise en œuvre de  projets environnementaux visant à atténuer  les impacts négatifs de leurs activités. En complément, des patrouilles régulières sont organisées pour surveiller les zones protégées, tandis que des actions de sensibilisation sont menées auprès de toutes les parties prenantes. Ces initiatives visent à réduire les menaces pesant sur les AMPs et à promouvoir une gestion durable des écosystèmes côtiers et marins

Quelle est la place des communautés locales dans les structures de gestion et gouvernance des AMPS du Bénin ?

Les communautés locales jouent un rôle central dans les structures de gestion et de gouvernance des AMPs du Bénin. Elles sont représentées dans les comités de gestion, où elles participent activement à la prise des décisions, favorisant ainsi une gouvernance réellement participative et inclusive.

Cette collaboration apporte de nombreux bénéfices aux communautés, notamment à travers des formations spécifiques qui renforcent leurs compétences, des revenus générés par leur participation aux patrouilles, et une amélioration de leur bien-être grâce à la restauration des écosystèmes locaux.

Quelles sont vos partenaires techniques et financiers actuels ? Et quels sont vos défis en matière de financement des AMPS ?

Nos partenaires incluent divers organismes régionaux et internationaux qui apportent un appui technique et financier à la gestion des AMPs.

Parmi eux, figurent le Réseau régional d’Aires Marines Protégées en Afrique de l’Ouest (RAMPAO), le Centre de Suivi Ecologique (CSE), la Convention d’Abidjan, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), l’Union européenne, le Port Autonome de Cotonou en collaboration avec la l’Agence belge de Développement (Enabel). Nous collaborons également avec des ONG locales spécialisées  telles que Eco-Bénin, Nature Tropical, AMN, AMSHAT, BIOSPHERE, entre autres.

Cependant, les actions en mer sont particulièrement coûteuses.  Les ressources financières provenant du budget national ne suffisent souvent pas pour mettre en œuvre des actions d’envergure ce qui rend nécessaire la mise en place d’un mécanisme de financement durable. Celui-ci doit associer les ressources nationales à des financements extérieures. Dans cette perspective, le CENAGREF s’efforce de tisser des relations solides avec des structures nationales, régionales et internationales pour mobiliser des ressources conséquentes, garantissant ainsi une gestion durable et efficace des AMPs.

Existe-t-il un suivi de l’efficacité de la gestion des AMPs au Bénin ? Si oui, quels sont les résultats actuels sur la santé des écosystèmes marins et l’amélioration du bien-être des communautés dépendantes des ressources de ces AMPs ? 

Oui, un suivi de l’efficacité de la gestion des AMPs est mis en place au Bénin.  Toutes les deux ans , les AMPs sont soumises à une évaluation IMET (Integrated Management Effectiveness Tool). Les résultats récents montrent que l’AMP de Donaten a obtenu un index global de 36,77 %.  L’analyse des six éléments du cycle de gestion révèle que seul le contexte de gestion affiche une tendance favorable avec un score de 68,8% , tandis que les cinq autres éléments  ont enregistré des scores peu  satisfaisants.

Pour l’AMP de la Bouche du Roy, l’index global est de 35, 39%, ce qui reflète également des performances limitées. Ces scores modestes s’expliquent par le fait que ces aires protégées sont encore récentes et ne disposent pas encore des outils et organes de gestion nécessaires pour fonctionner pleinement. 

Toutes les deux ans, les AMPs sont soumises à une évaluation IMET (Integrated Management Effectiveness Tool). Les résultats récents montrent que l’AMP de Donaten a obtenu un index global de 36,77 %. …Pour l’AMP de la Bouche du Roy, l’index global est de 35, 39%, ce qui reflète également des performances limitées.

Nous restons persuadés que, dans deux ans, nous aurons des Index globaux largement au-dessus de la moyenne grâce aux solutions que nous apporterons aux problèmes et lacunes identifiés. Les principaux défis à relever dans les années à venir concernent la mobilisation des ressources financières, la mise en place des organes de gouvernance notamment les comités de Gestion, la matérialisation des AMPs, le déploiement d’un système opérationnel de surveillance en mer, ainsi que la mitigation des impacts négatifs des actions des grandes installations voisines des AMPs.  

Les opportunités futures, sont l’engouement des partenaires techniques et financiers nationaux, régionaux et internationaux à financer la mise en œuvre des Plans d’aménagement et de gestion des AMPs et la mise en place progressive de projets régionaux en faveurs des AMPs.

Quelles sont les initiatives en cours en matière de coopération régionale et internationale pour la conservation marine et la gestion durable des AMPs ?

Actuellement, nous bénéficions de l’appui de la Convention d’Abidjan, du Centre du Suivi Ecologique et du RAMPAO dans le processus de l’élaboration et de l’adoption du Plan d’Aménagement et de Gestion de l’AMP de Donaten. Dans la même dynamique, l’UICN à travers son projet PAPbio sous financement de l’Union européenne, nous a accompagnés dans l’élaboration et l’adoption du PAG de l’AMP de la Bouche du Roy.

Cet important document de planification est en cours de mis en œuvre avec l’appui de l’Union européenne à travers le Projet d’Appui à la Gestion de la Réserve de Biosphère du Mono et de l’aire marine protégée de la Bouche du Roy pour un développement économique inclusif durable (AGeReB). Nous participons activement à diverses initiatives de conservation des zones côtières en Afrique de l’Ouest et collaborons avec des institutions nationales, régionales et internationales.

Y a-t-il des perspectives pour la création de nouvelles AMPs au Bénin ? Existe-t-il d’autres zones d’importance écologiquement importantes susceptibles de bénéficier d’un statut de protection ?

Vous comprenez qu’avec la longueur de notre côte (125km), il est difficile de créer de nouvelles Aires marines protégées. Toutefois, nous réfléchissons et travaillons avec nos collègues du TOGO avec qui nous partageons une zone d’importance écologique et biologique marine, afin de créer une AMP transfrontalière. Avec l’avènement du BBNJ, nous explorons également la possibilité de création d’AMP en haute mer une fois le document signé et adopté par le Bénin.